GÉEJ AMUL BAŊXAAS

ORIGINE

« On dit toujours que cela n’arrive qu’aux autres. Jusqu’au jour où les autres, c’est toi. » Cette citation anonyme résonne en moi, plus intensément que jamais. Voilà plus d’un an que je vis au Sénégal, et j’ai découvert ici la profondeur du fléau qu’est l’immigration clandestine. Originaire du Bénin, un pays peu touché par ce phénomène, et ayant passé près de neuf années en France, ces sujets m’avaient toujours paru lointains, presque simples à aborder. Mais il a fallu que je pose mes pieds sur cette terre sénégalaise pour saisir la complexité vertigineuse de ces flux migratoires et la souffrance humaine qui les accompagne.

Au-delà des émotions que m’a procurées le film Moi, Capitaine de Matteo Garrone, c’est le naufrage tragique de Mbour, survenu le 8 septembre 2024, emportant plus d’une trentaine de vies, qui m’a ébranlé au plus profond. Ce drame m’a secoué si violemment que j’ai décidé, en hommage aux âmes perdues, de réaliser ce court-métrage pour parler de ce suicide collectif que perpétuent, année après année, des jeunes africains désespérés.

Passionné d’art, et de cinéma en particulier, depuis maintenant cinq ans, j’ai choisi ce médium, le court-métrage, pour amplifier la lumière sur ce sujet brûlant. Par le prisme de l’image et de la narration, je veux donner voix à ces histoires étouffées par les vagues, à ces rêves brisés en quête d’un ailleurs.

THEMES

SPIRITUALITÉ

L’histoire est contée par Sika, un esprit veilleur, qui nous accompagne à travers le voyage de Mamadou, éveillant nos sens et notre conscience à chaque étape. En Afrique, la dimension spirituelle imprègne chaque moment de la vie quotidienne, et il m’était impensable de parler des réalités sociales, des êtres et des choses, sans évoquer le monde métaphysique ou surnaturel qui façonne les âmes et les destins.

Bien que le Sénégal soit une terre majoritairement musulmane, j’ai ressenti, au fil de mes errances – particulièrement en Casamance – un profond attachement à la culture, aux rites, aux coutumes ancestrales empreintes de spiritualité, similaires à celles de pays comme le Bénin, où les racines spirituelles plongent tout aussi profondément.

Cependant, comme dans tout chemin parcouru – qu’il soit religieux, professionnel ou doctrinal – des imposteurs parviennent à se glisser parmi les sages et les détenteurs de réelles facultés spirituelles. Ce sont les charlatans, ces marchands de rêves, motivés par la soif de pouvoir, de gloire ou d’argent, égarant sur leur route des âmes en quête de réconfort, aveuglées par le désespoir.

IMMIGRATION CLANDESTINE

L’immigration clandestine, cœur battant de ce court-métrage, demeure plus que jamais une réalité brûlante. C’est le rêve d’un eldorado illusoire qui hante les nuits des jeunes africains désespérés, étouffés par le poids d’une pression sociale écrasante. Ils portent sur leurs épaules l’espoir d’une famille en détresse, dans un pays où le chômage atteint les 23 % selon l’ANSD (au Sénégal), les contraignant à quitter leur terre natale pour offrir de meilleures conditions à leurs proches.

Guidés par des passeurs, véritables entrepreneurs du désespoir, et influencés par des voix de la diaspora qui masquent parfois la dureté de leur réalité, ces rêveurs ne se laissent pas abattre. Les récits de ceux qui, avant eux, ont emprunté la route tragique de la mort, loin de les décourager, nourrissent leur désir ardent d’un avenir radieux, faisant vibrer en eux l’espoir d’un ailleurs, d’une vie meilleure.

 

 

 Photo prise sur le site INFO MIGRANTS Crédit : Reuters

 

PRESSION PARENTALE et SOCIÉTALE

« Si l’argent reste simplement et uniquement le point de mire de nos actions et que les faits sociaux tournent autour de l’argent, qu’allons-nous devenir ? s’interroge Dr. Aimé Tcheffa, sociologue béninois. « Il faut d’autres modèles de formatage des êtres humains qui peuple de plus en plus notre société »

Dans cette œuvre, la pression sociétale s’affiche, peignant un modèle de réussite réduit à la seule quête de richesse. Rendre ses parents fiers s’accompagne parfois de l’obligation de les placer dans une stabilité financière, peu importe le prix à payer. La maxime “la fin justifie les moyens” s’impose comme la règle d’or pour les migrants clandestins, où les rêves se heurtent à la dure réalité d’un monde avide d’argent.

 

POLITIQUES ET ROLE DE L’ETAT

Dans cette œuvre, je m’attaque aussi à la question politique, scrutant comment ce fléau est appréhendé par les acteurs du pouvoir. Quelles sont leurs responsabilités face à cette tragédie ? Quel est le rôle de l’État, garant de la sécurité, protecteur et promoteur des droits humains, y compris celui de la sécurité sociale ?

De plus, je pose un regard critique sur la politique étrangère menée en Afrique, en lien avec les exigences de visa imposées par les pays européens, mettant en lumière les enjeux et les dilemmes qui en découlent.

L’assemblée générale de l’Union africaine, au siège de l’organisation, à Addis-Abeba, en janvier 2016. REUTERS